Le saviez-vous?

Les micropoints

Mis à jour le 16/08/2021
micropoint

Au début de janvier 1940, un passager était accoudé au bastingage d’un navire entrant dans le port de New York. Profitant qu’il n’y avait personne sur le pont, un homme approcha et murmura à l’oreille du passager qu’il s’appelait désormais S.T. Jenkins. Il lui donna pour consigne d’aller à l’hôtel Belvoir dès qu’il aura débarqué, et de rester dans sa chambre.

Après de longues heures d’attente, deux agents du F.B.I. entrèrent dans la chambre de Jenkins. Ce dernier, qui appartenait à la même organisation, leur serra la main et leur fit immédiatement part d’un rapport inquiétant :
– J’ai suivi les cours de l’école d’espionnage nazie à Hambourg, dit-il. J’ai obtenu mon diplôme il y a quinze jours. Dans son discours d’adieu, le Dr Hugo Sebold, directeur de l’école, nous a dit :
« La question primordiale pour les agents secrets du Führer en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, c’est de rester en liaison avec nous. Les Américains nous ont donné beaucoup de mal. Mais nous ne tarderons pas à communiquer entre nous dans le monde entier, en toute impunité. Je ne puis vous expliquer dès maintenant ce nouveau procédé, mais ouvrez l’œil et prenez garde aux points, à tous les petits points. »
Et Jenkins ajouta :
– On m’a envoyé en mission aux États-Unis sans m’en dire davantage.

Jusqu’à cette époque, l’espionnage allemand et japonais avaient été tenus en échec. Les services de contre-espionnage américains étaient parvenus à identifier leurs messagers, à déchiffrer leurs codes, à dépister leurs émetteurs clandestins, ainsi qu’à pénétrer le secret de leurs encres sympathiques. Un jour, une boîte d’allumettes fut saisie dans la poche d’un espion. Quatre allumettes, semblables aux autres, étaient en réalité de petits crayons destinés à l’écriture invisible. On faisait apparaitre ensuite le document à l’aide d’une solution chimique fort rare. Avait été également découvert des lettres reproduites sur des microfilms enroulés autour d’une bobine et recouverts de fil de soie. Des pellicules étaient dissimulées aussi dans le brochage de périodiques. L’une d’elles était enfoncée dans le réservoir d’un stylo qu’il fallut briser pour pouvoir extraire son précieux contenu. Mais que pouvaient donc être ces mystérieux micropoints dont le Dr Hugo Sebold avait fait allusion ?

Un jour d’août 1941, un jeune voyageur qui arrivait des Balkans fut interpellé. C’était le fils d’un millionnaire et certaines raisons laissaient supposer que c’était un agent secret allemand. À son arrivée sur le sol américain, les agents du F.B.I. procédèrent à l’examen de ses bagages avec un soin méticuleux, depuis sa brosse à dents jusqu’à ses chaussures, ses vêtements, ses papiers. Tenant dans ses mains une enveloppe, si bien que la lumière l’éclairait obliquement, un des spécialistes vit soudain jaillir une lueur. Ce reflet émanait d’un point, simple signe de ponctuation sur l’enveloppe, petite tache noire pas plus grosse qu’une tête d’épingle.

Avec d’infinies précautions, un agent détacha ce cercle noir à l’aide d’une pointe d’aiguille : c’était un corps étranger, infime, qu’on avait glissé dans la fibre du papier et qui ressemblait au point que l’on place à la fin de chaque phrase. Il fut grossi deux cents fois au microscope. La reproduction photographique d’une longue lettre tapée à la machine apparut. Il s’agissait d’un rapport d’espionnage dont le contenu est pour le moins inquiétant :

« Nous pensons que les travaux scientifiques sur l’utilisation de l’énergie atomique prennent une direction nouvelle aux États-Unis grâce à l’emploi de l’hélium. Envoyez sans interruption des renseignements sur les expériences en cours et en particulier sur les points suivants :
1° Quel procédé utilise-t-on aux États-Unis pour le transport de l’uranium lourd ?
2° Où se font les expériences sur l’uranium (universités, laboratoires industriels, etc.) ?
3° Quelles sont les autres matières premières qui servent à ces expériences ? Ne vous fiez pour cela qu’aux experts les plus qualifiés. »

Le service d’espionnage allemand avait trouvé le moyen de photographier une lettre de dimensions normales en la réduisant à la taille d’un moucheron. Ce micropoint était une invention d’une ingéniosité et d’une efficacité incroyables. Il reproduisait à la perfection les caractères d’imprimerie ou de machine à écrire. Le jeune espion balkanique avait dans sa poche quatre formules de télégramme sur lesquelles des ordres d’espionnage ressemblaient à des points sur une ligne. Il y avait, au total, onze micropoints sur les quatre feuilles. Une pellicule minuscule fut également trouvée, collée sous un timbre, qui avait servi à photographier vingt-cinq pages dactylographiées de format courant.

Le jeune balkaniste finit par parler et révéla qu’il avait été l’élève du célèbre professeur Zapp, l’inventeur des micropoints, à l’école technique supérieure de Dresde. Les messages secrets étaient d’abord tapés sur des feuilles de papier carrées, puis photographiées au moyen d’une caméra miniature de haute précision. La première réduction obtenue avait approximativement la taille d’un timbre-poste. Puis on prenait un nouveau cliché, cette fois-ci au moyen d’un microscope inversé. L’image ainsi obtenue, d’une dimension infinitésimale, était alors développée sur une plaque de verre enduite d’une émulsion dont la formule nous était inconnue. On recouvrait le négatif de collodion, de façon à pouvoir détacher en bloc l’émulsion de la plaque de verre. Pour ce faire, le technicien se servait d’une aiguille à injections hypodermiques dont la pointe était coupée et la section bien aiguisée. Il la plaçait sur le micropoint qu’il détachait de la plaque de verre à la façon dont un pâtissier coupe un morceau de pâte à l’emporte-pièce. Puis à l’endroit de la lettre où il fallait placer le micropoint, il grattait le papier très légèrement avec une aiguille. Au moyen d’une seringue, il « injectait » ensuite le point dans le corps du papier. Il replaçait ensuite la fibre par-dessus le point à l’aide d’une aiguille minuscule et resserrait finalement les fibres du papier en y déposant une goutte de collodion. Pour lire les messages, les espions nazis utilisaient d’ingénieux microscopes démontables.

Les Japonais utilisèrent eux aussi des micropoints. Le 12 février 1942, un message par micropoint, le quatre-vingt-dixième d’une série suivie de près, était incrusté sur l’enveloppe d’une missive envoyée à une « boîte aux lettres » au Brésil ; il retransmettait un ordre émanant de Tokyo à un attaché naval japonais en Amérique du Sud.

Le F.B.I. intercepta des centaines de messages envoyés sous forme de micropoints. Les services de contre-espionnage étaient ainsi tenus au courant des agissements des différents réseaux d’espionnage ennemis. L’analyse des micropoints permit l’arrestation d’un grand nombre d’agents ennemis et certains réseaux d’espionnage furent dissous.

Source : Dans les coulisses de la guerre secrète, Sélection du reader’s digest, 1966

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