Le saviez-vous?

Stragglers – Les soldats oubliés du Mikado

Mis à jour le 24/08/2021
Mikado

Le 15 août 1945, le Japon capitule. La nouvelle met plusieurs jours – voire plusieurs semaines – à atteindre les garnisons les plus lointaines. Nombreux sont ceux, parmi l’Armée impériale, qui accueillent la nouvelle avec scepticisme et refusent de déposer les armes. Si certains restent fidèles au code d’honneur du soldat, d’autres craignent, en cas de rapatriement, d’être traités en déserteur, traduits en cour martiale et exécutés. C’est ainsi que, des années durant, des soldats vivent cachés sur d’anciens théâtres d’opérations. La plupart d’entre eux meurent de maladie, de famine ou d’accident dans l’anonymat le plus complet, au fond des jungles ou dans des cavernes montagneuses. Une partie survivra suffisamment longtemps pour être rapatriée au Japon. Ils recevront le surnom de « Stragglers » (traînards).

Au moment de la capitulation, près de 6 millions de Japonais se trouvent hors des frontières, dont près de la moitié de militaires, en attente de rapatriement. Cette vaste opération migratoire s’effectue dans des conditions difficiles et s’échelonne, à cause du manque de navires de transport, jusqu’au tout début des années 1950, sous l’égide du Bureau d’aide sociale au rapatriement. Étant donné l’ampleur de la tâche, il n’est pas surprenant que cet organisme ait éprouvé de grandes difficultés à compter le nombre exact des survivants, des disparus et des morts parmi les soldats de l’Armée impériale. Des milliers d’entre eux se retrouvent pris au piège d’une guerre civile, comme en Chine et en Indonésie, et ne pourront rentrer chez eux que des années plus tard. De même, le processus de rapatriement des ressortissants japonais situés dans les zones sous juridiction soviétique est très compliqué. L’Union soviétique a rompu tout lien avec Tokyo et, fin août 1945, les militaires japonais capturés sont transférés en Sibérie comme travailleurs forcés.

La première référence aux « Stragglers » apparaît, le 14 février 1950, dans le journal Mainichi Shimbun, qui rapporte le retour au pays de huit soldats à bord d’un navire britannique. Ils sont les derniers survivants d’un bataillon ayant effectué la retraite de Finshhaven à Madang, en Nouvelle-Guinée. Recueillis à bout de forces en 1944 par une tribu locale, à une centaine kilomètres de Madang, ils y sont restés jusqu’en septembre 1949, lorsque la police guinéenne, informée de leur existence par l’un des villageois, les a arrêtés.

guam-stragglers

D’autres « oubliés » apparaissent dans les mois qui suivent. Le 26 septembre 1951, cinq combattants sont capturés par les GIs à Guam, et trois autres les jours suivants. En 1952, des rumeurs courent sur l’existence de soldats japonais dans les Philippines : 16 « Stragglers » auraient été massacrés par une tribu sur une île proche de Busuanga ; huit soldats auraient été vus débarquant sur une plage de Mindoro avant de gagner la montagne… Les forces armées philippines estiment que plus d’une centaine de soldats japonais demeurent cachés dans l’archipel. Entre 1950 et 1960, plus de cinquante survivants rentreront de Nouvelle-Guinée, d’Indonésie, des Philippines et des îles Mariannes.

Deux hommes qui étaient restés cachés au sommet d’une falaise pendant huit ans, à Saipan, sont capturés par les Américains le 18 mai 1952. Ils vivaient dans une tente de l’US Army, à seulement 150 mètres de la route principale. Ils pensaient que personne n’irait les chercher là. Ils ont été découvert accidentellement par des villageois s’étant aventurés près de la falaise pour capturer des chauves-souris.

En mars 1955, quatre autres « Stragglers » sont retrouvés en Nouvelle-Guinée. Leur chef, le caporal Shōichi Shimada, est arrivé à Rabaul en décembre 1942. En avril 1944, son bataillon de 90 hommes reçoit l’ordre de rallier Hollandia, distante de 500 kilomètres. Le périple entraine la mort de la plupart des soldats : naufrage, paludisme, épuisement, malnutrition, attaques de tribus… Les rescapés, au nombre de 21, sont encore loin de leur objectif lorsqu’ils apprennent la chute de la ville. Convaincus que sa reprise n’est qu’une question de semaines, ils décident d’attendre dans la jungle. Vivant en autarcie, ils survivent en mangeant des animaux sauvages et des insectes. En juin 1951, les derniers survivants sont découverts par un villageois. Après avoir surmonté leur méfiance réciproque, la population locale et les soldats japonais maintiendront pendant quatre ans un contact régulier. Bien que mis au courant des événements, ils se refuseront à admettre que la guerre est finie.

C’est sur l’île de Lubang, aux Philippines, que la présence des « Straggler » est la plus dangereuse. Plusieurs habitants sont tués ou blessés par des soldats japonais. Le plus célèbre d’entre eux est le lieutenant Hirō Onoda. Officier de renseignement de l’armée impériale, Onoda n’a pas quitté l’île depuis 1944. Les dernières instructions reçues de son supérieur direct lui ordonnent de se retirer à l’intérieur des terres et de harceler les forces occupantes jusqu’au retour de l’armée impériale. « Cela pourra prendre trois ans, lui a dit le major Yoshimi Taniguchi, cela pourra prendre cinq ans, mais quoi qu’il arrive nous reviendrons vous chercher. » Avec une détermination sans faille, Onoda livre une guérilla sporadique, malgré les efforts répétés des Insulaires pour le persuader de se rendre. La mort de son dernier compagnon d’armes, Kinshichi Kozuka, abattu par la police, en 1972, attire l’attention de la presse mondiale. La possibilité qu’Onoda ait pu survivre alimente de nombreux articles.

président philippin Ferdinand Marcos

Cette couverture médiatique attire l’attention de l’aventurier Norio Suzuki. À la recherche d’une nouvelle aventure, il annonce son intention de partir à la recherche « du lieutenant Onoda, d’un panda et de l’abominable homme des neiges, dans cet ordre ». La rencontre entre les deux hommes a lieu le 20 février 1974 au bord d’une rivière traversant la forêt tropicale de l’île de Lubang. Depuis près de trente ans, Onoda continue de livrer une guerre qui s’est officiellement terminée avec la capitulation du Japon dans la baie de Tokyo, le 2 septembre 1945. Plusieurs expéditions ont déjà tenté de le faire sortir de sa cachette, sans succès. Mais Suzuki a un avantage important sur ses prédécesseurs: sa recherche solitaire est si excentrique, voire absurde, qu’Onoda ne se sent pas menacé lorsqu’il rencontre le jeune homme dans la jungle.

« S’il n’avait pas porté de chaussettes, écrit Onoda, je lui aurais peut-être tiré dessus. Mais il avait ces épaisses chaussettes en laine sous ses sandales. Les habitants de l’île n’auraient jamais fait quelque chose de si étrange. Il s’est levé et s’est retourné. Ses yeux étaient ronds… il m’a fait face et m’a salué. Et m’a salué à nouveau. Ses mains tremblaient, et j’aurais juré que ses genoux aussi. Il a demandé :
– Êtes-vous Onoda-san ?
– Oui, je suis Onoda.
– Vraiment, c’est vous le lieutenant Onoda ?
J’ai hoché la tête, et il a continué.
– Je sais que vous avez passé des années longues et difficiles. Mais la guerre est finie. Accepteriez-vous de retourner au Japon avec moi ?
Son utilisation de formules de politesse japonaises m’a convaincu qu’il avait été élevé au Japon, mais il précipitait trop les choses. Croyait-il qu’il lui suffisait d’affirmer que la guerre était finie pour que je retourne au Japon avec lui ? Après toutes ces années, j’étais en colère.
– Non, je ne rentrerai pas. Pour moi, la guerre n’est pas finie !
 »

Après plusieurs jours passés en compagnie d’Onoda, Norio Suzuki retourne au Japon avec des photos comme preuve de leur rencontre. Désireux d’en finir avec ses soldats perdus, le gouvernement japonais parvient à retrouver la trace de l’ancien supérieur d’Onoda, le major Yoshimi Taniguchi, un vieil homme devenu libraire. L’ancien officier est envoyé sur l’île de Lubang. Il s’enfonce dans la jungle et obtient la reddition de son ancien subordonné. Onoda remet son sabre au président philippin Ferdinand Marcos le 10 mars 1974, à Manille. En retour, ce dernier lui octroie son pardon pour les crimes commis à Lubang, malgré l’opposition des habitants de l’île.

Teruo Nakamura

Quelques mois plus tard, le 18 décembre 1974, sur l’île de Morotai, un groupe de 11 soldats indonésiens encercle une cabane dans une clairière. Un homme, nu, en sort. Il s’apprête à pénétrer dans la jungle lorsque les soldats en émergent, chantant le Kimigayo, l’hymne national japonais. L’homme, Teruo Nakamura, se fige, terrifié. Il se laisse emmener sans résistance. Teruo Nakamura est officiellement le dernier « Stragglers ».

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