Opération Mincemeat

Afin de donner au débarquement en Sicile toutes ses chances de réussite, les Alliés décidèrent de mettre en place un plan d’intoxication visant à faire croire aux Allemands que le débarquement s’effectuerait en Sardaigne. Ainsi, il fut décidé de laisser croire aux Allemands – qui disposaient d’agents à Gibraltar – que non loin des côtes d’Espagne, un avion allié s’était abimé en mer avec des documents confidentiels. L’amiral Lord Louis Mountbatten, chef des Combined Operations, fut choisi pour mener à bien cette mission. Selon l’usage diplomatique, les documents importants et classés Top-Secret étaient contenus dans une mallette fermée à clef. L’officier porteur de la mallette ne devait jamais s’en séparer. Elle était d’ailleurs reliée à lui par une chainette. Il est évident que si l’avion s’écrasait, le corps de l’officier devait se trouvait en présence de la mallette. Mais alors, une question sérieuse se posait : Qui jouerait le rôle de cet officier noyé ? De plus, la personne en question devait avoir les poumons pleins d’eau. Il fut décidé d’utiliser un cadavre, mais pas n’importe quel cadavre que l’on se contenterait de jeter à l’eau. Il fallait prévoir le cas où les personnes qui trouveraient le corps pratiquent une autopsie. Et s’était là une partie du plan délicate. Si le soi-disant noyé n’avait pas les poumons remplis d’eau, le stratagème risquait de tomber à l’eau, voire même de se retourner contre ses auteurs. Un médecin attaché aux Combined Operations fit savoir qu’un mort par pneumonie emplissait ses poumons d’un liquide séreux qui pouvait faire l’affaire. Et justement, un anglais d’une trentaine d’années venait de décéder de cette maladie dans un hôpital. La famille du défunt permit que le gouvernement britannique en disposât à condition de ne jamais révéler son identité.
Le cadavre reçut le nom de William Martin et une vie lui fut inventée de toutes pièces. Né à Cardiff, en 1907, William Martin était capitaine dans les Marines et faisait fonction de Major aux Combined Operations. Pour éviter de lui donner une allure de défunt sur ses papiers d’identité, on trouva un jeune officier des CO lui ressemblant. Concernant sa vie sentimentale, une secrétaire des CO écrivit de sa main deux lettres, lui étant destinées, qu’elle signa « Pam » et qui furent glissées dans une poche de son blouson. On fit également établir par un joaillier londonien une facture que l’on glissa dans autre une poche avec une lettre de la banque qui disait que le montant payé par chèque au joaillier avait fait passer son compte dans le rouge et le priait de bien vouloir trouver une solution pour ce découvert. On mit dans ses poches des pièces de monnaie, un paquet de cigarettes, une boîte d’allumettes, quelques tickets d’autobus et deux billets de théâtre achetés au guichet du Prince of Wales.
Une lettre fut écrite par l’amiral Mountbatten à l’intention de l’amiral sir Andrew Cunningham, à l’époque commandant en chef des forces navales d’Afrique, l’informant qu’il avait confié au Major Martin un pli confidentiel pour le général Alexander. Mountbatten ajouta à la fin de la lettre: « Quand vous me le renverrez, pourrais-je vous prier de lui confier à mon intention quelques boîtes de sardines ? Ici, on ne peut en avoir qu’avec des coupons « . « Sardine » se traduit en anglais par « Sardina pilchardus ». Or, « Sardina » tout court se traduit par « Sardaigne ». L’ennemi ne devrait pas prendre cette coïncidence pour un hasard… Une autre lettre écrite par sir Archibald Nye, chef adjoint de l’état-major impérial, et étant destinée au général Alexander, commandant les troupes terrestres alliées en méditerranée, signalait que les Allemands avaient récemment renforcé leurs défenses en Crète et en Grèce et que les Alliés avaient décidé de suspendre l’opération prévue jusqu’à l’arrivée des renforts destinés au sud de la Péloponnèse. Il était ajouté que pour masquer les véritables opérations, on ferait semblant de débarquer en Sicile. En plus de ces lettres, Mountbatten fit mettre dans l’attachée caisse de William Martin une lettre destinée au général Eisenhower dans le but d’obtenir de sa part une préface à la brochure de propagande que le CO se proposait de publier.

Les services de renseignements britanniques étaient au courant qu’un Allemand travaillant pour l’Abwehr et entretenant de bonnes relations avec les autorités espagnoles locales résidait à Huelva, située non loin de la frontière portugaise à la confluence de deux cours d’eau, le río Tinto et le río Odiel. L’étude des courants marins de la région permit de s’assurer qu’un corps déposé au large serait poussé vers la côte. Pour déposer le corps dans la plus grande discrétion, le concours d’un sous-marin était indispensable. Le Seraph, ayant mené plusieurs opérations délicates, fut choisi pour cette mission. Ce dernier devait appareiller pour Malte à la mi-avril 1943 et larguer le cadavre le vendredi 30, avant l’aube, en un point situé à environ un mile à l’extrémité nord-ouest de la Playa de Castilla. Le corps du Major Martin fut sorti de sa chambre froide et habillé. À sa ceinture fut fixée la chainette reliée à la poignée de la mallette. Il fut, ensuite, couché dans une boîte métallique remplie de glace afin de mieux le conserver. La boîte fut soigneusement fermée et transportée à bord du submersible.
Le Seraph appareilla le 19 avril 1943. Le commandant du submersible, le capitaine de frégate Jewell, était le seul à savoir ce que contenait la boîte métallique qui avait été chargée à bord. Le 30 avril, le sous-marin fit surface alors que le soleil ne s’était pas encore levé. Jewell ordonna de monter la boîte métallique sur le pont prétextant à ses hommes que ceci était une expérience météorologique classée secret défense. Un canot de sauvetage fut mis à l’eau avec à l’intérieur une seule pagaie sur les deux tandis que le corps fut muni d’un gilet de sauvetage. Après que le commandant du Seraph est rendu hommage à William Martin en lisant l’Office des morts, le corps fut mis à l’eau. La mise en scène avait été ainsi soigneusement mise en place et Jewell put envoyer le message « Mincemeat completed ».
Le corps du Major William Martin fut trouvé à proximité de la côte par un pêcheur. La Guardia Civil de Huelva fut alertée. Le corps fut confié à un médecin légiste qui, après autopsie, conclu à une mort par noyade. Le corps fut inhumé avec les honneurs militaires, le dimanche 2 mai, en présence du vice-consul de Grande-Bretagne. Deux jours plus tard, le vice-consul reçut de l’ambassade de Grande-Bretagne à Madrid un message « Top Secret » l’informant que le Major William Martin était en possession de documents importants enfermés dans une mallette qu’il fallait récupérer le plus rapidement possible auprès des autorités espagnoles. Le vice-consul fit toutes les démarches nécessaires pour la récupérer mais ce n’est que 9 jours plus tard que l’attaché militaire à l’ambassade reçut la demande du chef d’état-major de la flotte de guerre espagnole de venir le voir afin de récupérer la mallette avec les objets personnels du défunt. Au cours de leur entrevue, le chef d’état-major dira : « Soyez assuré que la clef qui ouvre cette mallette n’a pas été employée ». Mais, durant tout ce temps, l’agent de l’Abwehr opérant à Huelva à certainement eut connaissance des documents secrets. En effet, après que les documents aient été restitués, ils furent examinés par les Britanniques qui conclurent qu’ils avaient été lus puis soigneusement remis en place.
Il semble que la manoeuvre d’intoxication ait réussi car une division blindée allemande qui aurait dû être envoyée en Sicile fut envoyée en Péloponnèse où les Allemands consolidaient leurs positions en procédant à des travaux défensifs. Les Allemands envoyèrent également des troupes en Sardaigne et en Corse. De plus, une flottille de vedettes lance-torpilles se trouvant dans le détroit de Sicile et de Malte fut envoyée en Grèce. Après la chute du IIIème Reich, des photographies des documents contenus dans la mallette furent découvertes dans les archives de Dönitz avec une note garantissant leur authenticité. Aujourd’hui encore, le dénommé Major William Martin se trouve enterré dans le cimetière de Huelva.
Commentaires
Laisser un commentaire