Les Bats Bombs

Le 7 décembre 1941, Lytle Adams, un dentiste de 60 ans originaire de Pennsylvanie, alors en vacances, visite le parc national des grottes de Carlsbad. Situés dans les montagnes Guadalupe, au Nouveau-Mexique, ces grottes abritent des milliers de chauves-souris. Sur le chemin du retour, il apprend l’attaque de Pearl-Harbor. Adams, à l’origine de plusieurs idées originales et novatrices, imagine un plan d’un nouveau genre, dans lequel les chauves-souris joueraient le rôle principal. Partant du fait qu’un très grand nombre d’habitations et de bâtiments japonais sont fabriqués en bois et en papier, ce qui les rend particulièrement inflammables, et sachant que les chauves-souris ont pour caractéristique de nicher dans tous les recoins des villes, il est persuadé qu’un grand nombre d’elles, porteuses de petites bombes incendiaires, pourraient réduire en cendres une agglomération en un temps record. Adams étudie ces mammifères et constate qu’ils peuvent emporter une charge équivalente à trois fois leur poids. De plus, ces créatures ont l’avantage d’hiberner – période durant laquelle ils n’ont besoin ni d’être nourris, ni d’êtres entretenus –, de voler dans l’obscurité et d’être présentes en très grand nombre sur le territoire national. Lytle Adams projette de recueillir un million de chauves-souris en phase d’hibernation, de fixer sur leur dos des micro-charges incendiaires à allumage programmé, de placer un millier d’entre elles dans une bombe factice à alvéoles et de créer des milliers de ces bombes. Ces bombes seraient ensuite transportées par avions et larguées de nuit au-dessus du Japon. Avec l’aube, les mammifères se cacheraient dans des endroits sombres – les greniers notamment. Les micro-charges seraient mise à feu peu après le lever du soleil. La ville ciblée s’enflammerait alors. Le 12 janvier 1942, Adams envoie son projet à la Maison-Blanche.
Roosevelt donne le feu vert au projet et recrute Adams. Louis Fieser, l’inventeur du napalm, est chargé de concevoir des engins incendiaires de taille réduite destinés à être fixés sur les chiroptères. La Commission nationale de recherche pour la défense est chargée de coordonner et d’enquêter sur la faisabilité d’un tel projet. Après une année d’études, en mars 1943, les chercheurs présentent leurs conclusions. L’US Air Force est suffisamment impressionnée pour donner l’autorisation de commencer les essais. À cette occasion, le projet prend le nom de « X-Ray », et les militaires sont chargés de localiser les principaux foyers de chauves-souris au Texas, d’en capturer des milliers avec des filets et de mettre au point un conteneur en forme de bombe à alvéoles à 26 plateaux, à 40 compartiments chacun, pouvant accueillir 1040 chauves-souris en hibernation – celles-ci ayant été préalablement placées dans des bacs à glaçons réfrigérés. Après son largage, la bombe est ralentie par l’ouverture automatique d’un parachute, atténuant ainsi la pression et assurant une bonne séparation des plateaux après largage des parois, afin de permettre aux volatiles de se réchauffer, de se réveiller et de prendre leur envol dans de bonnes conditions.
Des essais sont pratiqués dans le désert, près du lac Muroc, en Californie. Les premiers tests s’avèrent infructueux : la plupart des chauves-souris, qui ne sont pas sorties de leur phase d’hibernation, ne peuvent s’envoler et périssent lors de l’impact. L’équipe de recherche est transférée au bout de quelques semaines sur le terrain d’aviation auxiliaire de Carlsbad. D’autres essais sont effectués et ne rencontrent pas plus de succès. Les conteneurs en carton ne fonctionnent pas correctement, et il est très difficile d’attacher des micro-charges aux chauves-souris sans déchirer leur peau fragile. Ces problèmes en partie résolus de nouveaux tests sont effectués. Mais la plupart des mammifères prennent le large ou tombent en chute libre. Le 15 mai 1943 se produit un incident. Les chauves-souris sont libérées par mégarde et mettent le feu aux hangars et casernes de la base de Carlsbad et à la voiture d’un général. Suite à ce revers, le projet est relégué à l’US Navy en août 1943, puis passe au Marine Corps en décembre. Après une trentaine d’expériences et des ajustements opérationnels, l’essai définitif est réalisé au début de 1944 sur la maquette d’un village japonais construit par le Service de guerre chimique au Dugway Proving Grounds, dans l’Utah. L’expérience obtient des résultats positifs. L’observateur de la Commission nationale de recherche pour la défense déclare : « Nous en sommes arrivés à la conclusion que « X-Ray » est une arme efficace. Le rapport du chef chimiste précise que le projet est plus efficace que les bombes incendiaires standards en usage à l’époque. » D’autres évaluations se poursuivent jusqu’à l’été 1944, avant l’abandon du projet. En effet, le commandant en chef de la flotte américaine, l’amiral King, constatant que les « Bat Bombs » ne pourront pas être opérationnelles avant la mi-1945, décide de reporter ses espoirs sur la bombe atomique, celle-ci étant jugée plus apte à terminer la guerre rapidement.
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