La bataille de Montcornet

France, 17 mai 1940
D’après les dernières informations dont dispose l’armée française, les chars allemands se trouvent aux environs de Montcornet. Sur l’axe Laon-Montcornet, la 4e division cuirassée française du colonel Charles de Gaulle, dont certains éléments avancés sont au contact, depuis la veille, avec les avant-gardes de Guderian, s’apprête à endiguer l’avance du 19e corps blindé allemand.
Les communications de la 4e division cuirassée de réserve (DCR) sont de mauvaise qualité. De ce fait, les informations reçues sur les mouvements des unités allemandes sont inexactes, incertaines et tardives. Pour bloquer l’avancée allemande, la 4e DCR établit trois positions : la première sur la route en direction de Laon, au nord-est de la forêt de Samoussy ; la deuxième sur la route allant de Sissonne à Saint-Erme ; la dernière à Neufchâtel. Chaque position comprend une section de trois chars R-35, une batterie de canons de 75 mm et une section d’infanterie. Ne disposant d’aucune unité de reconnaissance, plusieurs officiers partent vers le nord-est explorer les lieux à bicyclette, mais ils ne rapportent que des informations imprécises sur les unités motorisées allemandes qui progressent vers Saint-Quentin. Les unités françaises arrivent au compte-gouttes.
Conscient des limites de sa division, de Gaulle planifie une manœuvre très simple à partir des informations et des moyens dont il dispose. Son plan consiste à avancer en direction du nord-est, vers Montcornet, sur un front d’environ 20 km. Ses unités doivent ensuite s’emparer de Montcornet et de Lislet afin de protéger Laon et de donner à l’infanterie le temps dont elle a si désespérément besoin pour se déployer sur ses nouvelles positions défensives.
Dans la nuit du 16 au 17, les différentes unités se regroupent à l’est de la forêt de Samoussy. L’attaque sur Montcornet est lancée le 17, à 4h15. Les Français avancent le long de deux axes. Dotée de trente-quatre chars B1 Bis et de quatorze D-2, la 6e demi-brigade constitue la force principale de cette opération. Sous les ordres du lieutenant-colonel Sudres, elle avance le long de la route Laon-Montcornet. Pendant ce temps, la 8e demi-brigade du lieutenant-colonel Simonin, équipée de quatre-vingt-dix chars R-35, protège son flanc en progressant le long de l’axe La Maison Bleue-Sissonne-Lislet.
L’axe de gauche avance en deux colonnes : les B1 Bis de chaque côté de la route et les D-2 le long de la voie de chemin de fer. Six B1 Bis se retrouvent rapidement embourbés dans une zone marécageuse à la sortie de Liesse. Cinq d’entre eux sont dégagés au cours de l’après-midi. Les D-2 connaissent leur baptême du feu lorsqu’ils sont pris en embuscade par un groupe de Pak 37 postés le long de la voie de chemin de fer, mais leur blindage résiste aux impacts des projectiles. Les Français continuent à avancer et neutralisent plusieurs canons antichars. Peu après, les chars français prennent sous leur feu un convoi d’artillerie allemand égaré. Les Allemands perdent une vingtaine de véhicules et plus de soixante soldats, tués, blessés ou faits prisonniers. En milieu de journée, les premiers chars français entrent dans le village de Clermont-les-Fermes, à quelques kilomètres de Montcornet, tandis que le gros des troupes s’est arrêté à Bucy afin de ravitailler les chars.
La 8e demi-brigade avance plus rapidement. L’objectif du 24e bataillon de chars de combat est d’atteindre Montcornet. Deux compagnies placées sur le front et une autre en arrière-garde couvrent le bataillon dont le flanc est protégé par le 2e bataillon de chars de combat. À midi, les Français ont déjà atteint le plateau qui domine Montcornet, au sud. La 13e brigade légère mécanique prend ses positions dans la ferme de Saint-Acquaire. En milieu de journée, la 2e compagnie lance une offensive contre Lislet tandis que les deux autres attaquent à Montcornet.
À Lislet, se trouve une section de Pak 37 avec six chars, probablement des Panzer III, en cours de réparation. Une partie de l’état-major de la 1re division Panzer se trouve également à Lislet, avec son commandant, le général Kirchner, blessé deux jours plus tôt dans un accident de voiture.
Huit chars R-35 de la 2e compagnie entrent dans le village, sans soutien d’infanterie. Ils sont accueillis par des tirs à bout portant de canons antichars de 37 mm. En quelques minutes, deux des R-35 sont mis hors de combat. Contraints de rester à l’intérieur de la tourelle, les chefs de chars ont beaucoup de mal à repérer les cibles et plus encore à les atteindre. À court de carburant, privé de tout appui de l’infanterie et impuissant face aux tirs des Allemands, les chars français doivent se replier sur Saint-Acquaire.
Le village de Montcornet est défendu par la 3e compagnie du 66e bataillon de sapeurs allemands. L’entrée au sud-ouest a été minée. La défense antichar est assurée par des hommes du 59e bataillon antiaérien, qui, dans ce secteur, ne dispose que d’une seule batterie de quatre pièces de 88 mm. Les R-35 de la 1re compagnie du 24e bataillon de chars de combat sont les premiers à atteindre les environs de Montcornet. Les chars B1 Bis, dont le blindage est plus résistant, auraient dû être les premiers à pénétrer dans le village, mais ils sont en cours de ravitaillement, une opération nécessitant plusieurs heures. Obéissant aux ordres de de Gaulle, le capitaine Penet lance ses chars à l’attaque. Quatre R-35 pénètrent dans le village et essuient les tirs des canons antichars allemands. Deux chars français sont détruits. Incapable de faire face à l’infanterie et aux canons antichars, les deux autres se replient vers Boncourt.

Pendant ce temps, la 2e compagnie du 2e bataillon de chars de combat s’empare de Dizy-le-Gros et poursuit sa route en direction de Ville-aux-Dames. Elle est soudainement prise à partie par trois canons antichars Pak 37 de la 10e division de Panzer. Rejoints par des renforts, les Allemands mettent deux chars français hors de combat. Désorganisée, la compagnie se replie sur Saint-Acquaire. Au même moment, l’infanterie, qui vient d’arriver en autobus, commence à réduire les rares poches de résistance qui se trouvent autour de Chivres. Ce sont les seuls renforts que reçoivent les chars français au cours de cette journée.
Vers 15h, après ravitaillement, les chars D-2 reprennent leur progression. Ils sont soudain la cible de trois canons de 88 mm situés à l’ouest de Montcornet. En quelques minutes, trois chars sont détruits. Les Français sont stoppés net dans leur avancée et cherchent une couverture. En fin de journée, ils se replient sur Bucy.
À 16h, après quatre heures de ravitaillement, les B1 Bis poursuivent leur route vers Montcornet et se déploient en formation de combat, avec deux compagnies sur le front et une troisième en arrière-garde. Ils ont pour ordre d’arriver jusqu’au village, de faire feu pendant dix minutes, puis de se replier. Les chars français traversent Clermont-les-Fermes, où ils détruisent un véhicule de reconnaissance allemand. Ne disposant d’aucune carte pour se repérer, ils se dirigent vers un village qu’ils prennent pour leur objectif, et le bombardent pendant quinze minutes, sans se rendre qu’il s’agit en réalité de Ville-aux-Dames ! Une fois les ordres accomplis, alors qu’ils s’apprêtent à se retirer, le char du chef de compagnie tombe en panne en terrain découvert. Son équipage regagne alors un autre char qui est détruit peu après par des tirs provenant d’une pièce de 88 mm qui démolit un autre B1 Bis. Peu de temps après, alors qu’ils commencent de nouveau à manquer de carburant et qu’ils ne cessent de subir les attaques répétées de la Luftwaffe, les autres chars se replient sur Bucy.
Faute d’un ravitaillement suffisant en essence, durement pressée sur ses flancs par des unités allemandes arrivées en renfort et soumise à des attaques incessantes de la Luftwaffe, la 4e DCR doit finalement rompre le combat après une progression de trente kilomètres dans les défenses ennemies. Les objectifs de la 4e DCR sont loin d’être atteints. Les Français ne sont pas parvenus à ralentir la progression des chars allemands. De Gaulle a pourtant des raisons de se montrer satisfait puisqu’il a réussi à remonter le moral des troupes en menant une attaque dans des conditions particulièrement défavorables. En effet, il s’agit d’unités qu’il connaît à peine, regroupées dans la hâte, incomplètes, privées d’appui en artillerie et de soutien aérien, manquant d’unités de reconnaissance, et qui ne peuvent se coordonner entre elles faute de matériel de communication par radio.
« Il est vrai, écrit de Gaulle, dans ses Mémoires, que, pour les SOMUA, chaque équipage était formé d’un chef de char qui n’avait jamais tiré le canon et d’un conducteur qui n’avait pas fait quatre heures de conduite. Il est vrai que la division comportait un seul bataillon d’infanterie, transporté, d’ailleurs, en autobus et, de ce fait, vulnérable à l’extrême au cours de ses déplacements. Il est vrai que l’artillerie venait d’être constituée au moyen de détachements fournis par de multiples dépôts et que beaucoup d’officiers firent la connaissance de leurs hommes littéralement sur le champ de bataille. Il est vrai qu’il n’y avait pas, pour nous, de réseau-radio et que je ne pouvais commander qu’en dépêchant des motocyclistes aux échelons subordonnés et, surtout, en allant les voir. Il est vrai qu’il manquait à toutes les unités beaucoup de moyens de transport, d’entretien, de ravitaillement qu’elles auraient dû avoir. »
Sur les 88 chars français engagés, 23 sont détruits, et le commandant Bescond, qui a mené l’assaut, a été tué. De Gaulle annonce moins de 200 hommes hors de combat au sein de sa division, qui ne compte en réalité que 25 tués ou blessés. L’attaque des chars français fait perdre aux Allemands une centaine de véhicules (camions, motos, blindés…), de nombreux canons ou mitrailleuses lourdes et environ un millier d’hommes (tués, disparus, blessés et prisonniers). L’ennemi a été bousculé entre Chivres et Montcornet et son ravitaillement sérieusement menacé. Même si cette attaque n’a rien changé au déroulement des opérations, elle a jeté un trouble certain chez l’adversaire. Les blindés de von Kleist, un instant surpris par cette résistance inopinée, n’en poursuivent pas moins leur avance vers Cambrai et Saint-Quentin. L’attaque de Montcornet contribue malgré tout à renforcer le moral des troupes qui y ont participé, mais aussi aux unités voisines ainsi qu’à la population civile qui cesse momentanément de fuir la région. Par une étrange ironie du sort, ce que de Gaulle et la 4e DCR ne sont pas arrivés à faire – ralentir l’avance des blindés de Guderian – c’est Hitler lui-même qui va s’y employer.
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